En 1997, le journaliste portugais Pedro Rosa-Mendes a traversé l'Afrique, d'ouest en est, de l'Angola au Mozambique. Il a voyagé à pied, en voiture, en train, en pirogue, croisé mille personnes, écouté mille destins. Il n'a pas sauté sur une mine; il aurait pu tant les terres en sont infestées. D'autres n'ont pas eu cette chance, «marchant du haut de leurs racines-os-troncs-bouts de bois-échasses-prothèses: béquilles: une nouvelle espèce.» Baie des tigres, en revanche, le livre de voyage qu'il ramène de là-bas, a dû rencontrer un genre particulier de mine littéraire. Le livre est en morceaux, composés de bouts disparates, monologues, dialogues, récits, scénario de court-métrage, liste des mères seules du district de Huambo, chansons, et même une lettre d'amour datée février 1822 par un mal-lettré inspiré: «Et que tous ces jours sont passé avec Vous Dame de la Saline dans mon souvenir de trop d'Eau très salée répandue dans ma bouche comme nous fimes.» Baie des tigres est un bric-à-brac réfléchi, qui a trouvé une forme digne de la complexité des terres parcourues.
Rosa-Mendes n'est d'ailleurs pas un novice. Il a lu Bruce Chatwin, Victor Segalen, Michel Serres. Vers le milieu du livre, il donne sa méthode: écrire sur un endroit où l'on arrive, c'est tout à la fois «une création (le lieu surgit), une cartographie (il reçoit des coordonnées) et une archéologie (parce que tout ce qui existe suppose ou dévoile tout ce qui a existé). [...] le voyageur est tout au plus son récit, il s