Menu
Libération
Critique

PlayBioy

Article réservé aux abonnés
L’Argentin Adolfo Bioy Casares (1914-1999), complice de Borges, inocula le fantastique dans la littérature hispanique. Histoire d’un homme couvert de livres et de femmes, dont paraissent pour la première fois les huit romans en un seul volume.
publié le 17 mai 2001 à 0h54

L’histoire de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares pourrait se résumer ainsi: pour écrire de bons livres, mieux vaut être riche, beau, cultivé et bien portant. Mieux vaut glisser sur le monde dans un luxueux quant-à-soi, tout en observant et retenant, pour ses romans, l’essentiel: les mots, les gestes, la vie des gens, noués à ses propres et modestes cauchemars. Pas très social, tout ça. Ni moral, ni édifiant. Mais c’est ainsi: le talent ne choisit pas toujours la souffrance pour s’exprimer.

Adolfo Bioy Casares, né en 1914 et mort un an avant ce siècle, a eu la belle vie d'un héritier cosmopolite, couvert de livres et de femmes; ses oeuvres ont porté les ellipses de ses angoisses et de ses peines. A Buenos Aires, il vivait dans 600 m2. Il avait un appartement sur la Côte d'Azur. Il a eu deux enfants, mais pas avec sa femme, Silvina Ocampo. La décoration, les choses ne l'intéressaient pas. A sa mort, on découvrit, dans les placards, des tas de valises pleines d'objets quotidiens. Elles n'avaient pas été ouvertes depuis des décennies. Le monde n'avait aucune importance: seuls les livres (et les femmes) comptaient. Il aurait pu dire, comme son grand ami Borges: «Ma vie d'homme est une impardonnable série de faiblesses; je veux que ma vie d'écrivain soit un peu plus digne.»

Gentleman Bioy fut un rentier hédoniste, tennisman, cavalier, et, comme l'un de ses personnages, doué d'une «certaine forme d'ironie créole, pleine de réticence et d'à-propos». Grand voyageur et polyglotte,