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Libération
Critique

L'anarchiste imaginaire

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Comment le poseur de bombes à la fin du XIXe siècle finit par symboliser l'impuissance du langage. Le dialogue de la littérature et de l'histoire.
publié le 31 mai 2001 à 1h03

Favorisé par l'engouement croissant pour le «culturel», le dialogue entre historiens et littéraires a beaucoup progressé ces dernières années. Les premiers ont accepté l'idée que la connaissance du passé transitait essentiellement par des médiations langagières, les seconds ont consenti à assouplir leur acception de «l'oeuvre» pour la réinscrire dans tout ce qui, socialement, la construisait comme telle. Si ces convergences n'ont évidemment pas connu en France la même vigueur qu'aux Etats-Unis, elles ont toutefois permis l'émergence de réflexions originales et stimulantes. Fictions de l'anarchisme, d'Uri Eizenzweig, est assurément de celles-là, et devrait susciter une utile discussion.

Le livre est, en effet, porté par une série de thèses assez fortes, toutes relatives à la vague des attentats anarchistes de 1892-1894 (de Ravachol à l'assassinat du président Carnot) et à leur rôle dans la genèse de notre modernité. Il insiste d'abord sur le caractère inaugural de cette séquence. Première irruption en démocratie d'une violence aveugle et destructrice, ces attentats sont, en effet, aux sources de cette composante nouvelle de notre culture politique qu'est le terrorisme. Cet avènement, pourtant, repose sur plusieurs paradoxes. Dynamite, bombes ou coups de couteau, ces actes n'ont, en effet, aucune consistance structurelle ou doctrinale. Ils ne furent portés par aucun mouvement, ne répondirent à aucune stratégie (la «propagande par le fait» était récusée depuis une bonne décennie