Il est question de forces, dans ces dix nouvelles de Lindgren. Pas de forces armées, sauf exception, non, simplement de nos faibles forces, nos forces usées par la vie qui s'en sert, nos forces surhumaines mobilisées en cas d'urgence. Rien n'est joué. Ainsi, le vieil homme qui gravit l'escalier, main, pied, genou, gauche, droite, l'un après l'autre hissé, négociant intelligemment chaque marche, arrive-t-il au bout du récit sans que la victoire soit assurée, puisque la dernière phrase est au futur: «Bientôt il glissera la clé dans la serrure et ouvrira la porte, invaincu, dans un futur proche il sera chez lui et pourra refermer la porte derrière lui.»
L'homme tout en muscles qui entreprend de raser la montagne, après que sa tendre épouse, au sortir d'une saison de brouillard, a manifesté le souhait que la forêt ne lui gâte pas l'horizon, apprend à composer avec lui-même. «Et il inventa et découvrit beaucoup de choses auxquelles il n'avait jamais pensé auparavant: qu'on peut scier agenouillé. Qu'on peut s'allonger dans les broussailles quand on a besoin de repos.» Voilà un individu avec des outils du XIXe siècle capable de couper seul le bois nécessaire «à fabriquer quelque chose comme soixante-dix ou quatre-vingt millions de romans. J'entends un roman d'environ deux cents pages». Torgny Lindgren, narrateur de ses histoires, prétend ne raconter que ce qu'il sait. Il sait des histoires de bûcherons et de tâcherons, des histoires d'écrivains.
L'artiste s'épuise à l'image du pa