Claire Malroux, elle-même poète, a longtemps traduit de la fiction avant de se lancer dans ses premières traductions poétiques en s'attaquant tout de go («rétrospectivement, je suis un peu effarée par mon culot») à Dickinson, réputée intraduisible. D'elle, Alain Bosquet, un de ses premiers traducteurs, ne disait-il pas: «Elle accepte ce risque suprême: elle renonce à comprendre ce qu'elle écrit.» Cela ne tient pas debout bien sûr, mais cela dit la difficulté. Depuis, Malroux a traduit d'autres poètes, souvent des femmes, Elizabeth Bishop, Jorie Graham et les Sonnets portugais d'Elizabeth Browning à propos de qui Dickinson écrivait à un de ses correspondants: «Et si vous touchez à sa Tombe, posez une main sur sa Tête, pour moi son anonyme Endeuillée ».
Comment avez-vous rencontré Emily Dickinson?
Le contact s'est fait par un petit livre, édité par Paul Zweig, un poète américain: vingt poèmes très bien choisis et très bien traduits. J'ai découvert une poésie proche de la poésie française de mon temps, sans articulation, sans subordination, faite de juxtapositions, de notations. Mes premières traductions sont de l'ordre de l'élan, la réponse d'un poète, fût-il mineur, à un autre. Je suis revenue à Dickinson longtemps après. Entre-temps, j'avais traduit Emily Brontë, Dickinson l'appelle «Gigantic Emily», qui fut à la fin de sa vie un compagnon essentiel. J'avais le sentiment qu'il y avait là, malgré tout, des affinités féminines. Pour la seconde traduction, plus complète, je n'