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Libération
Critique

Emily Dickinson, Lettres Majuscules.

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Y a-t-il d'autre destinataire aux missives enflammées d'Emily Dickinson que Dieu ou le Néant? Publication d'un nouveau tome de sa correspondance et rencontre avec Claire Malroux, sa traductrice.
publié le 14 juin 2001 à 1h14

Cela fait cent quinze ans qu'Emily Dickinson, habitante d'Amherst, Nouvelle-Angleterre, n'écrit plus poèmes ni lettres; mais cela fait deux ans seulement que nous recevons, par les excellents soins de Claire Malroux, tout son courrier accumulé. Il y eut d'abord l'intégralité des lettres aux hommes, et maintenant une partie des lettres aux femmes. Et s'il y a beaucoup de retard, c'est que traverser l'Atlantique n'est pas chose aisée, ainsi qu'Emily le savait. (Plus facile est de passer le balai, chasser la «craintive poussière», fournir «la nourriture périssable» ­ mais combien envahissant.) Quand le mot Mer vient sous sa plume, ce n'est jamais pour dire le calme de la contemplation: l'angoisse et l'effroi, au contraire, l'errance et le risque de mort, la perte et la séparation (on ne met pas de majuscule là où, inévitablement, elle en eût mis). Et si elle écrit à Susan Dickinson, sa belle-soeur: «Tu dois me laisser te précéder, Sue, parce que je vis toujours dans la Mer et connais la Route.» cela veut-il dire que sa vie fut perte et mort et angoisse fréquentes? Sans doute. Il suffit de se reporter aux poèmes: «Le Mourir est un rien, après coup,/Mais vivre, vivre comporte/Un mourir multiplié ­ sans/Le Répit d'être mort.»

Découvrir la correspondance de Dickinson avec plus d'un siècle de retard n'est pas en vérité un handicap. Il y est tellement question d'affaires abstraites que les lettres sont valables et belles toujours et partout, et maintenant aussi bien. Le lecteur ne ris