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Libération
Critique

Wittgenstein tout à trac.

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Publication des carnets de guerre codés de l'auteur du «Tractatus», emplis d'annotations laconiques et du désir lancinant de travailler à son oeuvre maîtresse.
publié le 14 juin 2001 à 1h15

«C'est lorsque j'épluche des patates que je peux le mieux travailler [...] Pour moi, c'est l'équivalent de ce qu'était la taille des verres pour Spinoza.» Avant de se tourner vers la philosophie, Ludwig Wittgenstein avait reçu une formation d'ingénieur et s'était spécialisé en aéronautique à l'université de Manchester. C'est au moment où il effectuait des recherches pour la construction d'un turboréacteur que son intérêt pour les mathématiques et la logique le conduit à rencontrer d'abord Gottlob Frege puis Bertrand Russell, avec qui il va travailler à partir de 1912 au Trinity College de Cambridge. La rédaction de son grand oeuvre, le Tractatus logico-philosophicus, est achevée en 1918. Pour son élaboration, il avait l'habitude de remplir de notes de nombreux cahiers, qui se sont révélés extrêmement importants pour éclairer et sa pensée et sa vie tourmentée. Jean-Pierre Cometti (1) édite aujourd'hui les Carnets secrets 1914-1916, contenant les remarques que le penseur autrichien écrivait en «code» pour les protéger de l'indiscrétion, et qui n'avaient pas été retenues dans les Carnets traduits en 1971 (2). Lorsqu'il les rédige, Wittgenstein est au front, dans un régiment d'artilleurs stationné à Cracovie, à bord du torpilleur Goplana, puis en Galicie et dans les Carpates. De la guerre, il connaît les aspects les plus meurtriers et les plus absurdes, et fait l'épreuve de la «stupidité», de l'«insolence» et de la «méchanceté sans limites» des soldats («il n'est donc pas vrai q