Pourquoi l'Irlande de vos romans nous semble-t-elle aussi primitive, archaïque?
Mes romans se passent dans le comté de Clare parce que c'est là que sont les histoires qui m'attirent, c'est là qu'elles arrivent. Cette Irlande-là est à la fois primitive et archaïque. Il y a les paysages, les saisons, les éléments, c'est intemporel. Il y a aussi la qualité des gens qui vivent dans ces lieux isolés, et qui n'ont été que très peu touchés par les bienfaits du XXe ou du XXIe siècles. J'ai vécu là-bas, croyez-moi, je ne les invente pas.
Il ne s'agit pas seulement de faire la peinture d'un monde archaïque et oublié. Je veux écrire sur l'amour, la haine, la jalousie, la possessivité, la trahison, tout ce qui a gardé le rythme primitif de la vie. Je vis à Londres, en ville, mais mes histoires viennent de la campagne irlandaise. En ville, les gens bavardent, mais ils ne vous racontent plus d'histoires. Et la fiction, c'est d'abord des histoires. La Bible est une histoire, l'Odyssée et Ulysse de Joyce sont des histoires. J'adore les histoires. J'adore qu'on m'en raconte et j'adore les écrire. Je n'aime pas toujours les écrire, mais j'aime les trouver en tout cas.
Vos personnages semblent toujours prisonniers de leur destin et de la société. Mais dans Décembres fous, l'irruption de la modernitéfait espérer un changement. Qui a changé? Vous ou l'Irlande?
Probablement les deux. L'Irlande est devenue un pays plus prospère et plus séculier. Mais il faut aller au delà. Dans la tragédie grecque, que j'aime et dont j'espère que ma fiction donne un écho, le destin est bien plus puissant qu'un changement superficiel. Dans ce livre, j'ai voulu jeter un pont entre le vieux monde, le monde archétypique, et un autre monde, de progrès, de sexe, de biens matériels. Mais ce