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Libération
Critique

Lutte des castes

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Mahasweta Devi dit la férocité de la société bengali, violente et soumise à la loi du silence.
publié le 5 juillet 2001 à 23h59

«La douleur transperçait le bas-ventre de Sujata comme une lame. 1948, le 16 janvier. Sujata s'agrippait aux draps blancs sans relâche. Son front ruisselait de sueur. Sous ses yeux s'agrandissaient des cernes noirs. En ce glacial mois de janvier, Sujata était insensible au froid.» C'était il y a vingt-deux ans, jour pour jour: aujourd'hui l'enfant qu'elle mit au monde est mort. Encore et encore, elle revit en rêve son accouchement. Brati, le matricule 1084 de la morgue, est désormais sans nom. La police n'a pas rendu le corps: Brati faisait partie des agitateurs qu'on a abattus, il appartenait au mouvement «naxalite», ces jeunes maoïstes bengalis ainsi dénommés en souvenir d'un soulèvement paysan au Naxalbari, une région située au pied de l'Himalaya. Mais chez les Chatterjee, on est des gens respectables, Dibyanath le chef de famille étouffe l'affaire, dans les journaux nulle mention de Brati. Ce fils il ne l'a jamais eu. Il ne sera que le père des autres: Jyoti, Nipa, Tuli... tous mariés, tous respectables. Sujata, elle, veut comprendre. Elle a beau venir d'un milieu aisé; beau avoir été la bru serviable et l'épouse fidèle, «ce que Sujata craignait le plus, c'est que personne ne voit ce qu'il y avait d'anormal à ce que