Parfois, c'est le romanesque qui fait irruption dans la vie des romanciers, comme un pavé dans une vitrine. «Ala fin des années quatre-vingt, je me trouvais au Caire en même temps que Juan Goytisolo. [...] Nous étions seuls dans la cafétéria de l'hôtel quand un aveugle entra, accompagné d'un garçon et d'une fillette âgés de huit ou neuf ans. Il demanda à la fille de lui décrire l'endroit et ses clients, puis au garçon de lui gratter le dos; l'enfant lui tira alors la chemise de sous la ceinture et passa la main dessous, se hissant sur la pointe des pieds pour pouvoir gratter plus haut, aidé par l'aveugle qui se penchait légèrement en avant. Nous assistâmes à la scène, Juan et moi, amusés, puis quand le grattage fut terminé, le petit cortège fit demi-tour et ressortit en silence comme il était entré, comme si nous n'étions pas là!» En bon chercheur d'or, Mohamed Berrada n'a pas laissé passer cette pépite de la vie cairote.
Mohamed Berrada est arrivé au Caire pour la première fois en 1955, il n'a jamais cessé d'en être amoureux. Le jeune étudiant marocain, ébloui par Nasser et Oum Kalsoum, a pour l'Egypte une tendresse qui ne s'est jamais démentie. Comme un été qui ne reviendra pas, sa rencontre avec Le Caire fut un éblouissement, un premier amour. C'est dans cette ville-monde (une ville-monstre) qu'il a découvert les femmes, les livres, la politique: tout ce qu'il faut pour faire un homme.
Mais son texte, plus qu'un roman de formation, est une arabesque, une série de variations