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Libération
TRIBUNE

D'une oreille distraite

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MON JOURNAL DE LA SEMAINE
par Jean ROUAUD
publié le 25 août 2001 à 0h29

Samedi

Le toit du monde

Vous écoutez d'une oreille distraite les informations de cette fin de soirée, le présentateur y va peut-être de son petit couplet sur l'imprudence, l'impéritie de ces grimpeurs amateurs s'aventurant vers les sommets (vous pensez à une phrase du vieux trappeur Griffe d'ours à Jeremiah Johnson: «La montagne a ses lois, pèlerin.»). Un détail cependant fourni par le journaliste vous occupe l'esprit un moment: ces trois-là, un couple et leur fille étaient encordés, c'est-à-dire que le premier à dévisser aura entraîné les deux autres dans une chute fatale de trois cents mètres, les trois corps chahutés par la pesanteur s'emmêlant, se nouant, rebondissant ensemble contre la paroi, quelques secondes que vous vous repassez en boucle, imaginant les pensées ultimes, les regards affolés peut-être, avant de décrocher à votre tour, faute de mettre sur les victimes un visage. Le lendemain, à votre arrivée dans votre bourg natal, ils retrouvent leurs traits. Vous découvrez aussi les yeux des deux abandonnés de 20 ans qui n'ont pas fini de ressasser le dévissage tragique. Notre montagnard de Loire-Atlantique s'appelait Jean Glotin, il avait 51 ans. Après avoir repris l'entreprise de son père, charpentier, il s'était spécialisé dans la fabrication des escaliers et, fou d'ascension, avait aménagé un mur d'escalade contre le pignon de sa maison qu'il avait voulu comme un grand chalet en forme de V renversé.

Dimanche