Aujourd'hui, Emma Bovary vit seule dans la grande ville. C'est une panthère en cage neurasthénique. Elle étouffe de frustration en croisant dans la rue ou dans les bistrots des gens dont elle imagine la vie pour mieux les tuer. Elle rêve acide et décomposé. Tantôt elle est anorexique, tantôt elle dévore. Et pour mourir, elle n'a plus besoin d'arsenic: Régis Jauffret s'en charge. De livre en livre, l'écrivain fossoyeur invente des créatures féminines malades et étriquées, des veuves intrinsèques, douées pour le malheur, qui vivent dans l'ombre d'Emma et de ses descendantes, mi-Green mi-Mauriac. Il les habite pour mieux les rendre folles et détruire le monde qui les entoure, le nôtre.
Clémence Picot, la plus réussie, se racontait à la première personne. La misérable héroïne de son nouveau roman, Promenade, n'a pas de nom. Elle est décrite à la troisième personne. La plupart des phrases, qui semblent l'amener sûrement (quoique bien trop lentement) vers le tombeau, commencent par ce pronom: «Elle». «Elle» est le modèle concentré, l'équation sans inconnue romanesque des personnages de Jauffret: leur sous-vide, en somme. «Elle» vit seule pendant les trois quarts de ce livre de 300 pages, sans travail, ni famille, ni véritables amis. Elle sort dans la rue, étouffe, pénètre dans une entreprise en se faisant passer pour une employée, étouffe, entre dans un bar et baise avec le patron qui lui propose une mansarde, étouffe, s'installe dans un hôtel miteux, étouffe, appelle au secours un