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Libération
Critique

Le couteau dans l'après

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Bourreaux et victimes face à face au lendemain de l'apartheid.
publié le 18 octobre 2001 à 1h18

Smitsrivier est le genre d'endroit où on ne revient pas sans une vraie bonne raison. Une grand-rue écrasée de soleil, un clocher blanc dressé comme un doigt d'honneur boer à l'immensité du ciel africain et quelques milliers d'âmes racornies par la haine et la douleur... Sarah, procureur à New York, a une bonne raison de revenir, l'amitié: elle a répondu à l'appel de son vieux mentor, l'avocat Ben Hoffman. Et la voilà, quatorze ans après avoir quitté sa ville natale, en train d'esquinter ses escarpins dans la poussière rouge qui recouvre uniformément les bougainvillées des quartiers blancs et les tôles ondulées des quartiers noirs.

Nous sommes en Afrique du Sud, sans doute en 1996. Les lois fondamentales de l'apartheid, celles qui codifiaient la séparation entre les races, ont été abolies le 28 juin 1991. Nelson Mandela est le premier Président noir du pays. Mais les temps nouveaux ressemblent à des sables mouvants dans lesquels s'enlise la démocratie. La guerre entre les races a brisé les corps et les esprits, la société sud-africaine est plongée dans une sorte de catalepsie. Créée fin 1995, la commission Vérité et Réconciliation va, trente mois durant, se déplacer de ville en ville, auditionner en public des centaines de personnes, emmener les Sud-Africains dans les commissariats, les fermes, les installations sportives où les opposants à l'apartheid étaient torturés, tués, brûlés ou enterrés. Bref, essayer de briser cette gangue de silence qui ne ressemble décidément pas à