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Libération
Critique

Bergounioux, un sang d'encre

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Ses textes décrivent un passé censé préparer l 'avenir. Rencontre (au présent) avec Pierre Bergounioux , né en 1949 à Brive, inventeur de cette prose contin¼ue qui maille la chaîne des générations.
publié le 25 octobre 2001 à 1h23

Pierre Bergounioux délivre et livre des phrases comme on donne son sang. Généreusement, chaque jour. Depuis vingt ans, il se lève à pas d'heure et, courbé sur une courte table au beau milieu d'une large pièce où les bibliothèques vitrées renvoient le reflet d'une lampe timide, entre d'étranges statuettes nègres, et d'autres tout aussi noires extraites de métaux ruinés de Corrèze, qu'il a tordus, soudés, figurés, là, dans le confort d'une vallée de Chevreuse qui ne l'a pas bercé, il écrit. Il écrit dans ces heures qui séparent l'éveil de l'aube, heures offertes par l'insomnie. Il écrit d'une écriture minuscule et lisible, et la phrase coule comme du sang, toujours limpide quelle que soit la gravité de la blessure, et la peine qu'il crée en s'échappant n'entrave en rien sa fluidité. Lorsque le soleil se lève, Pierre Bergounioux, vaguement plus pâle que les autres fantômes, quitte sa table et entame ce qu'on pourrait prendre de loin pour une journée ordinaire, il enseigne le français à des collégiens mélangés qui ne savent pas tous leur bonheur.

On dit que donner son sang crée une accoutumance, Bergounioux ne peut plus s'en passer, et même sa conversation diurne, déliée comme une écriture, lancée comme un train dès que l'autre se tait, semble n'être que le brouillon oral de ce que l'aube prochaine laissera sur la table. On a du mal à le suivre, on n'ose rien noter, certain qu'on en retrouvera l'essence dans un prochain opus, ce qu'on y entend mérite toujours d'être relu. A cette