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Libération
Critique

Heidegger, l'embarras du Souabe

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Engouement et répulsion : l'histoire de la réception singulière du philosophe allemand en France.
publié le 25 octobre 2001 à 1h22

Les Américains n'y vont pas de main morte, parfois: «Comment des esprits aussi fins et intelligents que les plus grands intellectuels français, de Sartre à Lacan, ont-ils pu se laisser prendre aux pièges jargonnants d'un paysan souabe, malin peut-être, mais au fond profondément nazi?» (Tom Rockmore). A vrai dire, les Allemands eux-mêmes, normalement plus aptes à entendre la langue du «paysan souabe», ont toujours manifesté leur étonnement. Déjà en 1946 Karl Löwith voyait un «symptôme» intéressant dans le fait que Martin Heidegger ­ puisqu'il s'agit de lui ­ pût trouver en France la «nombreuse audience» que son pays alors lui refusait. Et encore récemment (14 mai 1999) le Frankfurter Allgemeine Zeitung publiait un article sarcastique («La trivialisation de Martin Heidegger. Rebut, sexe et expiation») sur les «nouvelles aventures du philosophe allemand en France». Est-ce une «coquetterie» française ­ «un luxe? une fantaisie? une aberration?» ­ que d'avoir «reçu» Heidegger comme on ne l'a fait nulle part ailleurs (ou est-ce une coquetterie française que de croire que cette coquetterie ne soit que française parce qu'un certain nombrilisme fait ignorer qu'il a été traité dans d'autres contrées avec le même excès d'honneurs et d'indignité?). Est-ce une spécialité de notre terroir que d'avoir produit un «French Heidegger» inattendu, «très sophistiqué» et «à bien des égards plus savoureux et piquant» que le modèle original? Pourquoi, alors qu'outre-Rhin «l'"effet Heidegger" est tomb