Longtemps, l'étoile de Franz Rosenzweig n'a lui d'aucune lumière. Dans le ciel d'une Allemagne impériale ruinée par cinq ans de guerre, menacée par l'anarchie et la révolution, elle n'a pas même été entr'aperçue. Dans le firmament de l'Allemagne nazie, elle sera cachée par d'épais nuages, effacée, oblitérée, comme tous les autres astres du judaïsme allemand, Moses Mendelssohn, Martin Buber, Marx et Freud, Einstein ou Schönberg. Le chef-d'oeuvre de Rosenzweig, l'Etoile de la rédemption (1), paraît en 1921. C'est un livre «monumental», porté par une inhabituelle ferveur, profond, lyrique, parfois obscur, et d'une force capable d'apporter une «nouvelle pensée» et une nouvelle espérance à une humanité que sa propre histoire vouait à la crise, à la violence et à la destruction. Mais nul ne s'en aperçoit. Après la Seconde Guerre mondiale, la destruction advenue, c'est la nécessité même de penser l'impensable qui rendra un temps inaudible cette «voix venue d'avant 1933, d'avant le nazisme, d'avant l'Holocauste» (2).
La «renaissance» de Franz Rosenzweig devra beaucoup à Gershom Scholem, qui, le premier, souligne l'influence exercée par le philosophe juif allemand sur la pensée de Walter Benjamin, ou à Karl Löwith, qui établit le parallèle entre l'Etoile de la Rédemption et Etre et Temps (1927) de Heidegger. En France, les études d'André Neher ou d'Eugène Fleischmann sortent Rosenzweig de l'ombre, mais c'est Emmanuel Levinas qui, à son oeuvre «créée comme dans une extase fiévreuse du