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Libération
Critique

La surprise du chef

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Dans l'Europe des années trente, la saga d'un presque vrai et célèbre chef d'orchestre qui dirigea, en égoïste virtuose, une symphonie du malheur pour ses proches.
publié le 13 décembre 2001 à 1h56

Le bref et vif roman du Suisse allemand Urs Widmer, 63 ans, a l'intensité narrative d'une vie formidablement ratée. Deux événements intimes l'encadrent: «Aujourd'hui est mort l'homme que ma mère a aimé», première phrase du premier chapitre; «Aujourd'hui ont eu lieu les obsèques de l'homme que ma mère a aimé», première phrase du dernier chapitre. Le sujet, apparemment, c'est donc lui, Edwin, chef d'orchestre fameux. Il est mort très vieux, en tenant dans la main un bout déchiré de la partition de la quarantième symphonie de Mozart, «le plus beau morceau de musique qu'on eût jamais composé». On apprendra plus tard qu'il ne l'a jamais mise à son programme, mais qu'«il l'aimait tant qu'il fit l'acquisition de la partition originale, avant d'être à la tête de son premier milliard.»

Wirdmer souligne ce mot: avant. Car Edwin n'est pas qu'un artiste remarquable, adepte de la musique contemporaine: c'est une fripouille égoïste qui presse à mort ceux qui l'entourent. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a fait fructifier, en Suisse, la fortune industrielle de sa femme (qui n'est pas la mère du narrateur) en vendant aux Allemands tout ce dont ils avaient besoin. Et c'est l'homme à qui la mère du narrateur a voué sa jeunesse, son énergie, sa vie, avant d'être oubliée par lui comme une valise de trop. A cet homme tant aimé, Widmer invente une biographie réussie et des amis exceptionnels (Bartok, Stravinski et même Boulez). Il décrit sa jeunesse pauvre dans les années 20, ses premiers co