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Libération
Critique

Le gay savoir.

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En relisant Jean Genet et en tapant sur Jacques Lacan, Didier Eribon esquisse les fondements d'une «morale du minoritaire».
publié le 20 décembre 2001 à 2h01

Si, dans Une morale du minoritaire, Didier Eribon s'était cantonné à produire une archéologie de la condition homosexuelle tout au long du XXe siècle, ­ condition douloureuse et à la limite du pensable de nos jours, où l'outing, la gay pride, et l'investissement de certains quartiers sont devenus les emblèmes d'une visibilité assumée, voire triomphante des gays ­ il aurait apporté une contribution essentielle contre l'oubli. N'est-il pas vrai qu'encore dans les romans de 1960 les personnages homosexuels, ne voyant d'autre issue à leur désespoir, sont acculés au suicide, et que leur sort est encore pire au cinéma où ils n'ont pas le droit de comparaître, alors que dans la vie réelle leur sont réservés injure et propos graveleux? Mais Eribon fait plus que reparcourir, en historien des idées, le trajet artistique et humain de Jean Genet pour dégager la généalogie des catégories morales qui ont accompagné le devenir d'un groupe stigmatisé ­ de la honte vécue à l'orgueil revendiqué et finalement à la constitution d'un sujet libre. Aussi ébauche-t-il, philosophiquement, une morale partageable par les gays, forcément minoritaire, ayant comme visée de tenir leurs vies à l'abri des incessants réglages majoritaires. Enfin, Didier Eribon ne dédaigne pas d'articuler les avancées théoriques (Réflexions sur la question gay, son essai paru en 1999 chez Fayard a été très remarqué) avec la polémique et lancer, ici, une attaque d'une rare violence contre la psychanalyse, notamment lacanienne,