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Libération
Critique

Plus tôt mourir.

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Un homme jeune coule des «Jours heureux» dans une maison de fin de vie.
publié le 20 décembre 2001 à 2h01

Les jours heureux c'est une maison de retraite, mouroir moderne sous des dehors ronflants, boisés, une chaleur Ikea. Les habitants de cette maison sont par définition tous vieux, à deux pas de la fin. Il y a Al' (pour Alzheimer), Bébel, Clarisse... Tous accusent un paquet de rides, qui le montrant piteusement ou aigri, qui le cachant ou niant son existence. Et il y a Antoine.

Ce type de 35 ans réside aux Jours heureux comme n'importe quel autre pensionnaire, il a même fini par «adopter leur pas lent et compté pour ne pas toujours arriver le premier au réfectoire». Aux yeux des employés c'est un doux dingue, habitant exemplaire par ailleurs, que certaine infirmière se fait même un plaisir de chevaucher, car quel soin lui apporter sinon? Enfin il a sa place, il s'est fondu dans le gris ambiant.

Rien d'étonnant pour quelqu'un qui à 18 ans, voulant «marquer sa vie d'une pierre», s'est acheté sa propre tombe. Ensuite, il y a bien eu travail, épouse et enfants, parce qu'il faut vivre cela, c'est l'ordre des choses. Mais à 35 ans basta, Antoine a suffisamment vécu... Il est en avance sûrement, mais c'est pour mieux se «laisser flotter doucettement à la surface de la vie, faire la planche en attendant de finir entre quatre». Antoine coule des jours heureux, il n'attend plus rien, il a tout éprouvé trop vite et en est rendu à ce «sentiment d'absurdité implacable, cette vision zoologique, générique de l'homme» qu'ont seuls peut-être les agonisants. Il ne peut plus vivre en dehors de cet