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Libération
Critique

Vitesse Turgeon

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Quand un Canadien fumeux, faux nègre et déprimé chronique fait l'improbable portrait d'un adjoint à la Culture lyonnais. Parcours.
publié le 3 janvier 2002 à 21h34

Alain Turgeon est un ingénieur trentenaire canadien qui fume de l'herbe et qui, depuis quelques années, a tout abandonné, le Québec, son métier, les illusions qu'il n'a jamais pu avoir, tout sauf l'herbe et les mots, pour échouer à Lyon en tant qu'écrivain possible. On l'avait embauché comme veilleur de nuit à la bibliothèque municipale, mais il vient d'en être viré pour avoir déclenché inopinément toutes les alarmes. Dans Gode Blesse (1), il faisait rire noir en racontant son enfance, la pendaison de son beau-père avec une corde à sauter, le suicide de sa mère battue par son concubin: «Ma mère, elle s'est jetée dans une rivière. Mais une rivière, c'est plein d'eau et elle nageait comme un tournevis. Si ça se trouve, elle y a même pas pensé à remonter pour respirer. En plus, visiblement, elle était pas bien étanche non plus. Ça m'en a fait un vrai cachalot de ma mère cette grosse baignade.» L'autobiographie s'achevait sur ces mots: «Des fois je voudrais repartir à zéro dans ma vie. Mais en fait j'ai qu'à continuer comme normal puisque ma vie le zéro elle l'a jamais quitté.»

Cette prose à 960 millibars, dans la dépression de l'air du temps, ne faiblissait presque jamais, une surprise grammaticale ou verbale par phrase. On la retrouvait dans son étrange Préambule à une déclaration mondiale de guerre à l'ordre (2), amas de petits textes désespérés complétant l'autoportrait de l'oiseau rare mazouté par la vie. Turgeon, spécialiste malgré lui des catastrophes intimes, s'est fait u