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Libération
Critique

Senges et mensonges.

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Un roman programmatique mais pas bêcheur, où un jardinier géomètre fomente une apocalypse guillerette.
publié le 10 janvier 2002 à 21h38

Pierre Senges, 34 ans, réussit tout à l'envers. A l'âge où ses confrères s'héroïsent en surmâles philosophes, il nous pond un vieux narrateur aigri. Le moyen d'attirer les meufs avec ça. Et à l'heure où le lecteur attend sa ration de tripailles familiales, il nous parle de semailles «saxifrages» ­ traduction: qui cassent des briques, et trois pattes à un canard.

Car Pierre Senges, professeur de musique, est le champion d'un genre romanesque assez périlleux: la partition mécanique. Le principe est simple: on se donne une liste (vies de saints, recueils musicaux,...) et cette liste génère selon une certaine combinatoire différents aspects de la narration. Son premier texte, Veuves au maquillage (qui reparaît en «Points» Seuil), mettait ainsi en scène un assassinat dont chaque étape avait «un équivalent historique ou fabuleux». Le narrateur de Ruines-de-Rome, géomètre retraité, lit quant à lui la Bible à l'envers, tout en aspirant à une apocalypse horticole. Il rêve à des plantes qui détruiraient la ville, par l'invasion ou l'intoxication: «Je pourrais faire pousser un ginkgo femelle (il provoque des oedèmes), un pied d'épine noire (responsable de dermites).»

Il échafaude des plans délirants pour lever ses armées, constituées par exemple de livreurs de fleurs séquestrés puis ralliés à la cause du millénariste en herbe. Proliférant sur un dictionnaire de botanique, Ruines-de-Rome fait moins songer à l'OuLiPo qu'à une sorte de baroque exaspéré, du côté du blason et du corps morcelé