Quand l'Américain Robert Peary annonce au monde en septembre 1909 qu'il a vaincu le pôle Nord, il ne se doutait pas qu'il serait trahi par son ombre. La photographie symbole de victoire prise le 6 avril 1909 à midi face à la bannière étoilée montrera des ombres trop courtes pour être honnêtes. Au pôle, à cette date et à cette heure, le soleil est si bas sur l'horizon que les ombres atteignent dix fois la hauteur de ce qui les crée. La National Geographic Society, qui avait financé l'expédition, finira par admettre quatre-vingts ans plus tard que l'explorateur n'est pas allé jusqu'au pôle.
Ombre et lumière sont inséparables. L'ombre serait-elle une absence de lumière? De la lumière noire? Une chose est sûre: elle n'est qu'un pâle et plat reflet de la réalité. Mais qu'on l'oublie dans une peinture, qu'on l'efface d'une photo et ces représentations du monde deviennent irréelles. Que les architectes l'ignorent et leurs villes deviennent sordides. Et si la lumière est un instrument souvent mis en avant dans le progrès scientifique, beaucoup de découvertes ont jailli du regard porté sur les ombres. Roberto Casati, chercheur au CNRS, raconte cette quête de l'obscur. Il emmène le lecteur dans un étonnant tour du monde à travers la Grèce antique, l'Italie du XVIIe, la construction des villes américaines ou les théâtres d'ombres de Java. Un monde où se mêlent croyances et expériences, magie et découvertes, sciences «dures» et sciences humaines.
A chaque croisée des chemins, Casati parsè