Taipei envoyé spécial
A Taipei, on peut trouver le père Jean Lefeuvre dans son refuge débordant de livres de l'école de langue Aurora: le nom même de la grande université jésuite de Shanghai fermée par le pouvoir communiste après 1949. A 80 ans, bon pied bon oeil, mais pas bonne oreille, le père Lefeuvre est devenu l'une des mémoires vivantes de l'aventure jésuite en Chine, et donc de l'histoire du dictionnaire Ricci. «Sans Yves Raguin (mort en 1998, ndlr) et Jean Lefeuvre, il n'y aurait pas de Grand Ricci», commente le père Vermander, directeur de l'Institut Ricci de Taipei.
Jean Lefeuvre est arrivé à Pékin en 1947, à l'âge de 25 ans, comme jeune jésuite étudiant. Il s'est inscrit en philosophie à l'université de Pékin, alors sous le pouvoir du Kuomintang. Six mois plus tard, les communistes prenaient la capitale du Nord. «Premier semestre, l'ancien régime, second semestre, le nouveau régime. J'ai assisté de l'intérieur à la manière dont ils ont pris le contrôle», explique-t-il, l'oeil pétillant comme si ça s'était passé hier. Devenu ami avec un étudiant s'intéressant à Bergson, il l'aidait à le lire dans le texte original français. Un autre de ses amis était un membre secret du PC chinois. «Je l'avais repéré très vite: il m'avait demandé à l'aider à lire l'Humanité. J'avais écrit à ma famille pour qu'elle me l'envoie. Ils ont cru que j'étais devenu fou! Au premier semestre, il ne disait rien. Au second semestre, c'est lui qui a dirigé la nouvelle organisation de l'université