Vous êtes en 2002 mais vous regardez un western français des années soixante-dix. Un cow-boy tendre aux airs durs nommé Philippe Djian ouvre d'un coup de botte la porte du saloon. Il a baroudé en Amérique, sur les routes et dans les livres. Il est couvert de poussière et de mots. Il commande un tord-boyaux et le verse lentement sur la tête d'un «chroniqueur» qui l'a critiqué naguère, ça fait du bien. C'est le saloon de sa jeunesse. Les jeunes l'observent. Quand il parle, il est direct et emphatique, plein de trouvailles et de clichés. Une grosse fleur bleue pousse dans sa botte gauche, celle du coeur: ce mélange fait son charme. Parfois, il dit des choses étranges: «Vous pourrez vous promener en compagnie des grands auteurs et sortir en ville sans craindre que l'on vous montrât du doigt.» Certains l'appellent le subjectif imparfait. Il se tourne maintenant vers le patron et lui demande l'ardoise. Il ne l'avait jamais réglée. Vingt ans et quinze livres ont passé. Il est temps. Il y a dix noms dessus. Dix écrivains. Huit Américains, un Français, un Suisse. Ils ont changé sa vie, jadis; ils l'ont fait vivre puis écrire. Le cow-boy sort du papier, une plume, ses tripes. Puis il règle l'addition en écrivant ce livre, Ardoise, bref et intime hommage à la décurie qui l'a fécondé.
Quand il en parle, c'est violent et physique. Ces écrivains l'ont pénétré et enchanté. Ils lui ont mis le genou à terre, l'ont fait trembler, lui ont été remède de cheval, l'ont accueilli comme un aventurie