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Libération
Critique

La geste de Chamoiseau.

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Patrick Chamoiseau publie une chronique épique et folle d'un révolutionnaire antillais qui n'a jamais existé. Rencontre.
publié le 7 février 2002 à 22h05

Si demain vous passez en France votre code littéraire, méfiez-vous du panneau Chamoiseau. Il indique une direction et encourage une pratique opposées à la plupart des autres: une phrase grasse, souvent longue, riche de mots de la veille ou de trois siècles; une phrase sertie d'adjectifs reluisants comme une parure en mondanité sous les tropiques; une phrase où un créole sans glossaire, quelques éclats rabelaisiens et une cadence alexandrine très classique circulent librement dans la pénombre de l'histoire, sous le sens, à l'oreille. Cette éruption intime fait quelques milliers de mots. L'écrivain de 48 ans, prix Goncourt 1992 pour Texaco, est en Martinique éducateur: il côtoie quotidiennement la misère du monde. Ses livres refont par l'imaginaire la vie des gens de peu. Il leur écrit un langage et le leur doit: il cherche «ce que le don permet d'atteindre». Il tend ses multiples bras vers le monde qui l'entoure comme un dieu indien, mais il a plus de paroles que de mains: le langage qu'il tente d'inventer l'a depuis longtemps ensorcelé. Donc, méfiez-vous: vous allez croire que son panneau vous mène dans une forêt sans clarté où vous ne pourriez évoluer que le nez sur le guide ou dans les dictionnaires. Or, dans Biblique des derniers gestes, c'est tout le contraire: les mots exotiques ou perdus poussent sur des phrases qui, par leur agencement et leur constitution, en donnent naturellement le sens. Tout devient clair dans cette opacité: le son est la lumière. Le narrateur pri