Des parents raisonnables eussent rechigné à ce que leur petit passât ses journées à lire, crayon à la main, les Origines indo-européennes d'Adolphe Pictet. A tort. Car Ferdinand, qui venait d'avoir treize ans, y prend un tel plaisir que, des années après, il s'émouvra encore à sa seule évocation: «L'idée qu'on pouvait, à l'aide d'une ou de deux syllabes sanscrites, (...) retrouver la vie des peuples disparus m'enflammait d'un enthousiasme sans pareil en sa naïveté; et je n'ai pas de souvenirs plus exquis ou plus vrais de jouissance linguistique que ceux qui me viennent encore aujourd'hui par bouffées de cette lecture d'enfance.» En guise de remerciement, il offre même à Adolphe Pictet (un ami de la famille, patriarche de la culture genevoise du milieu du XIXe siècle, et grand initiateur des études de paléontologie linguistique) non quelque poème, mais un ouvrage savant où il reconstitue (il n'a pas quinze ans) une «proto-sémantique universelle»: l'Essai pour réduire les mots du grec, du latin et de l'allemand à un petit nombre de racines. Son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, publié en 1878 «le plus beau livre de linguistique historique qui ait jamais été écrit», dira, en connaisseur, Antoine Meillet fait connaître son nom dans toute l'Europe de la culture. Mais nul n'envisage que l'auteur puisse en être un étudiant de vingt et un ans. L'un de ses professeurs, à Leipzig, lui demande un jour s'il n'est pas par hasard parent du
Critique
L'apport de Saussure.
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par Robert Maggiori
publié le 14 février 2002 à 22h15
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