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Libération
Critique

Station Belleville.

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Buck Jones, Marabout- Flash, Gérard Mordillat ravive les rues et les rites de son enfance.
publié le 28 février 2002 à 22h26

Ca commence par un chagrin: «Le jour où ma mère est morte, j'ai pleuré comme une madeleine.» Ce n'est pas une blague, il nous faudra attendre encore 28 pages pour apprendre que la maman de Gérard Mordillat s'appelait vraiment Madeleine, un prénom de l'époque, qu'on donnait même à des bébés nés avant la grande guerre à Vancouver. En ce temps-là les transports n'étaient pas comme maintenant, il fallait y aller, naître à Vancouver. Un vrai chagrin qui refermera le livre, avec la lucidité de reconnaître le malheur d'une mère amputée de tout un continent d'enfance, d'un océan jamais retraversé, du mot sans cesse répété «angoisse, angoisse, angoisse» , et cette pirouette finale, mouillée de rires et de larmes: «Souvent, je me sens belge.» Entre les deux s'exercent la verve et la gouaille de Mordillat, inaugurée voici plus de vingt ans avec Vive la Sociale!, pour nous redire une enfance heureuse dans le vingtième arrondissement de Paris au début de la deuxième moitié du siècle dernier: la fierté prolétaire et laïque d'avoir eu des parents à moitié communistes, l'école buissonnière et le respect des bons profs, le mépris des ratichons, et la force du poignet.

Le souvenir d'enfance pauvre est un genre littéraire à lui seul (Sabatier, Picouly), il échappe rarement à l'attendrissement sur soi-même, et touche d'autant plus qu'il est partagé. Ici, l'auteur admet dès la page 19 être né 236 ans après Denis Diderot, ça crée des liens, ce sont des choses que nous partageons, toute une classe.