Le 10 juillet 1941, une partie de la population de Jedwabne en Pologne massacrait la quasi totalité des juifs (1600 environ) qui vivaient dans cette bourgade. Pendant comme avant la guerre, la responsabilité de ce meurtre fut pourtant imputée à l'occupant nazi. Une stèle érigée dans les années 1960 accusait ainsi les services hitlériens d'avoir commis ce crime. Au vrai, les habitants de Jedwabne ne tenaient guère à voir leurs méfaits rappelés, d'autant qu'ils joignirent l'odieux à l'abject, pillant sans vergogne les biens de leurs voisins assassinés. Le pouvoir, par ailleurs, ne souhaitait pas affronter la population sur ce terrain sensible, d'autant que les responsables communistes n'étaient pas exempt de tout antisémitisme. Les Polonais dans leur ensemble, enfin, préféraient se présenter comme des victimes, image peu compatible, on le devine, avec la qualité de bourreaux.
La force du livre que Jan Gross, un sociologue américain, consacre à ce drame est de rappeler l'ensemble de ces données. Il souligne que les Allemands parfois accueillis avec joie en 1941 dans l'ex-zone soviétique ne sont guère intervenus dans un massacre collectif qui, loin d'être spontané, fut au contraire préparé par les habitants du village. Les motifs restent mystérieux. A en croire les Polonais, les affinités que les juifs entretenaient avec le bolchevisme, devenues tangibles lors de l'occupation soviétique (1939-1941) auraient en retour attisé la fièvre antisémite d'une population ne pardonnant