Pour forger un «homme nouveau», les totalitarismes se sont appuyés sur une religion civile qui cherchait tant à modeler les individus qu'à obtenir leur adhésion, en usant des mécanismes éprouvés de la croyance et de la foi. Le fascisme italien n'a pas dérogé à cette règle. Dès lors, les outrances bouffonnes du Duce comme le caractère souvent grotesque des rites fascistes ne doivent pas dissimuler l'ampleur de l'emprise totalitaire que le régime mussolinien s'est efforcé d'imposer à une population conviée, de gré ou de force, à sacrifier au culte fasciste. Telle est la thèse qu'Emilio Gentile, professeur à l'université La Sapienza de Rome, défend dans une étude suggestive.
Avant même la marche sur Rome de 1922, le fascisme italien a lutté, parfois avec violence, pour imposer sa foi. Obligeant ses membres à prêter serment lors de cérémonies solennelles, assimilant les morts pour la cause à des saints, le parti fasciste, pour gagner la bataille des signes et vaincre la gauche, n'a pas hésité à substituer ses étendards aux drapeaux rouges brûlés en place publique. Les rituels de force permettaient tant de terroriser l'adversaire que de renforcer la cohésion de la communauté militante. Accédant au pouvoir en 1922, le fascisme poursuivait sur cette lancée prometteuse, marquant de son empreinte symbolique l'univers public et privé de la population italienne. Les fonctionnaires devaient revêtir l'uniforme, les écoliers saluer le drapeau et rendre hommage aux morts de la Grande Guerre