Un pas de côté. Un pas de côté et l'on franchit la lira, la portion de terre arable comprise entre deux sillons. Dès lors, on va de guingois, on piétine ce que l'on a semé, en ensemence des champs arides où rien ne pousse. On dé-lire. On quitte le sol travaillé et stable, sur lequel les choses tiennent, ont leurs lois et leur sens, leur nécessité et leur raison, pour aller vers ce qui n'a ni clarté ni ordre. Il n'est pas de vision plus traditionnelle du délire, toujours «mis au coin» par la raison et tenu à ne pas lui rendre la pareille, à montrer à la raison ses limites: les délires de la raison peuvent être dénoncés par l'homme raisonnable, quand les raisons du délire échappent au délirant.
On est davantage enclin aujourd'hui à accepter que le délire ait ses raisons et sa logique. Est-ce à dire qu'on cède ainsi à la fascination esthétique ou littéraire du délire, en faisant fi de ce qu'il peut représenter de désertification du «vivre-ensemble» et de souffrance psychique, ou, à l'inverse, qu'on tient à humilier la raison en faisant l'éloge de l'irraison? C'est à éviter cette double «glissade» que s'applique Remo Bodei, professeur à l'université de Pise, dans l'essai qu'il vient de publier: Logiques du délire. Raison, affects, folie. Le seul titre d'un autre ouvrage de Bodei, Géométrie des passions (PUF, 1997), peut laisser deviner le sens de sa démarche philosophique: non pas quadriller, «calmer» et régler les indomptables passions en en rendant raison par une froide mathéma