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Libération
Critique

Une amitié platonique

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Philosophe excentrique mort du sida à 62 ans, Alan Bloom est le «Ravelstein» joyeux et incandescent de son ami Saul Bellow.
publié le 28 mars 2002 à 22h44

Avec les livres, les écrivains enterrent les morts. Manière de vivre, de survivre, de faire revivre, et leurs cercueils d'encre s'envolent comme des tapis persans. L'Américain Saul Bellow, 87 ans, prix Nobel de littérature 1976, augmente ainsi sa vie. Il fond dans les phrases ses épreuves, son quotidien, ses mariages, ses divorces, ses amis, ses angoisses et ses blagues juives, sa solitude dans un monde sans rédemption. Il sait qu'il n'y a «rien de plus bourgeois que la crainte de la mort», et que nous sommes presque tous des bourgeois. Il a écrit ainsi des livres fameux, Herzog, le Don d'Humboldt, la Planète de monsieur Sammler, et, en 1998, ce libre tombeau d'un ami mort : Ravelstein.

Ravelstein, c'est le philosophe Alan Bloom, grand ami de Bellow. Bloom est mort le 7 octobre 1992, des suites du sida, à 62 ans. Il avait été un disciple du philosophe Leo Strauss, que Bellow rebaptise Felix Davarr. Il fut surtout le maître à penser et à vivre d'une élite d'étudiants et d'intellectuels américains. Il enseignait dans leurs langues ses maîtres : Platon, Thucydide, Machiavel, Rousseau, Nietzsche. Il mariait ses élèves et amis, écoutait leurs commérages, éclairait leurs caractères et leurs passions bien plus qu'ils ne l'auraient voulu. Comme Proust, il aimait ce que Bellow appelle «les improvisations saugrenues de créatures en état de stress» ; autrement dit, les confidences. Il était enfin capable de boire du coca à la bouteille dans un dîner mondain devant T.S. Eliot, pou rire d