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Libération
Critique

Chute d'empires roumains

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Eliade et Cioran furent membres du mouvement fasciste et antisémite de la «Garde de fer».Un essai sur cette période qu'ils voulurent occulter.
publié le 11 avril 2002 à 22h59

Jamais Emil Cioran (1911-1995) n'exprima vraiment de regrets pour les douteuses dérives politiques de ses années roumaines, sinon par allusion au travers de cer- tains de ses aphorismes les plus amers, comme «en tout homme sommeille un prophète et quand il se réveille, il y a un peu plus de mal dans le monde». L'historien des religions Mircea Eliade (1907-1986), qui lui aussi fut un fervent partisan de la mystique nationaliste et violemment antisémite des Gardes de fer dans la Roumanie de l'entre-deux-guerres, ne fut guère plus prolixe sur ce passé qui jamais n'est abordé dans les volumes de son journal. Le dramaturge et académicien Eugène Ionesco (1909-1994) dénonça dès le début la dérive ­ cette «rhinocérisation» ­ de ses très proches amis de jeunesse et fut ensuite toujours un antitotalitaire convaincu, mais cela ne l'empêcha pas, malgré ses origines juives par sa mère, de passer deux ans dans les coulisses de Vichy. La passionnante enquête d'Alexandra Laignel-Lavastine, fine connaisseuse de l'ex-Europe de l'Est et notamment de la Roumanie, démarre sur une photo prise en 1977 sur la place de Furstenberg à Saint-Germain- des -Prés où posent souriant et côte à côte ces trois intellectuels d'origine roumaine, devenus des gloires universelles après leur installation en France ­ puis aux Etats-Unis pour Eliade ­ dans les années de l'après-guerre. «L'un des partis pris de cet essai consiste à rompre avec la distinction courante, à nos yeux trompeuse, entre un avant (la périod