A bientôt 67 ans, Edward W. Said ne sait toujours pas exactement d'où vient son nom. Pour cet intellectuel palestinien de la diaspora, né à Jérusalem et vivant depuis quarante ans aux Etats-Unis, cette incertitude est hautement symbolique. Comment ne pas se sentir un éternel déplacé Out of Place, comme l'indique le titre anglais de ses mémoires aujourd'hui traduits , quand on ne peut clairement expliciter son propre état civil, alliant en un étrange oxymoron le plus british des prénoms au plus arabe des patronymes ?
Toute la contradiction de l'auteur est là, palestinien de souche et citoyen américain, professeur de littérature à Columbia University (New York) et militant de longue date de la cause palestinienne. Contradiction ou reflet des convulsions de l'histoire régionale ? Said : nom choisi par le clan paternel pour payer ses impôts au temps du mandat britannique. Edward : prénom du prince de Galles, indice d'une anglomanie maternelle (les quatre soeurs de l'auteur s'appellent Jean et Rosy, Joyce et Grace). Il a donc fallu vivre avec «une fausse identité presque inventée de toutes pièces» par des parents décidés à «ne pas être comme les autres» : «Des années durant et selon les circonstances, je bafouillais "Edward" pour insister sur "Said", d'autres fois je faisais l'inverse ou alors je prononçais les deux noms d'une seule traite et si vite que ni l'un ni l'autre n'étaient clairs.» Un dilemme doublé d'un autre, celui de la langue : «Je n'ai jamais su laquelle, de l'ar