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Libération
Critique

Murmures de Berlin

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Quand Cécile Wajsbrot donne une rue au peintre Caspar David Friedrich.
publié le 11 avril 2002 à 22h59

Il n'existe aucune rue Caspar David Friedrich à Berlin. Cécile Wajsbrot, en résidence là-bas à l'automne 2000, l'a donc inventée. Ou plutôt, elle en a imaginé l'inauguration à l'orée du nouveau millénaire. Son roman est le long discours intime que prononce à cette occasion un poète allemand né en 1945, ayant vécu à Berlin-Est, et qui n'a plus rien écrit depuis onze ans : depuis la chute du Mur.

Ce discours est découpé en neuf chapitres. Chacun est écrit sous l'influence d'un tableau de Friedrich, dont il porte le nom. Le créateur de l'Arbre aux corbeaux, né en 1774 et mort en 1840, enjambe l'âge classique et les temps modernes. Il incarne le romantisme allemand. Il peint des dunes, des arbres, des montagnes, la mer Baltique. Ses personnages, souvent de dos, contemplent, à travers ces paysages, leur âme, leur destinée, le temps. Les tableaux sont des paysages intérieurs. Kleist, qui connaissait bien Friedrich, a écrit qu'en fixant l'un de ses plus célèbres tableaux, Moine au bord de la mer, on avait l'impression «d'avoir les paupières coupées». Il aurait pu ajouter : et le coeur ouvert. On regarde la mer et on ne peut plus fermer l'oeil, car c'est soi-même qu'on voit, peut-être rien.

Wajsbrot a visiblement beaucoup (trop ?) lu et fréquenté les musées. Elle n'a pas choisi par hasard de porter l'ombre de Friedrich sur Berlin. La ville détruite, puis fantôme, puis divisée, puis bouillante d'avant-gardisme, continue de refléter les fantasmes de l'Europe. Dans Nord, Céline a décrit