Cet ongle rose n'est pas celui de la chanson, ce petit bout du petit ongle rose du petit doigt de sa petite main, non, il est gros ongle du gros orteil du pied menu d'une grande fille, d'une femme, d'une amante, ongle rose de vernis, tombé, posé là sur la table à côté de l'ordinateur qui écrit, posé là pour prendre date puisque l'on sait que les ongles repoussent comme s'effacent les deuils. La petite fille comme la grande, le petit ongle comme celui de l'orteil, l'ongle tombé, ont en commun le lourd besoin d'être consolés. On dit «l'ongle tombé» comme Sylvie Gracia écrit «mon amant parti», et puis plus loin, plus tard, lorsque le livre de la consolation l'aura assez consolée, qu'il aura rempli son office, qu'il pourra s'arrêter de lui-même comme une toupie qui se couche à la fin de ses voltes, dans le même souffle qu'il avait commencé, elle se surprendra à écrire «mon amant aimé» et il sera temps de remettre du rose sur l'ongle de ce gros orteil tout neuf comme un amour nouveau.
L'Ongle rose est un livre le temps qu'un ongle repousse, un lent compte à rebours irréfragable, comme la valse de la toupie, comme la pièce qui roule entre pile et face, entre vie et mort, il ne souffre pas les sautes de paragraphes, il tomberait. Non, il souffre. Il souffre de tristesse, de mélancolie, de chagrin et de deuil, il souffre les yeux ouverts, et le mauvais sang qu'il se fait laisse place peu à peu à un jus plus clairet, fragile, dont on craint qu'il ne suffise pas à relancer le coeur, et