Kaboul envoyé spécial
Au centre de Kaboul, près de la place du Pash tounistan, où le grand restaurant Khyber est toujours à l'état d'abandon, dans un quartier tant de fois dépouillé par la guerre qu'il en est presque nu, au bout d'une impasse boueuse et jonchée de gravats, une grande maison arrive à se tenir debout. Elle jaillit des ruines et, parce qu'elle est éclairée de l'intérieur par des bougies et des lampes à pétrole, on dirait qu'un feu doré et ambré couve dans le secret de ses fondations branlantes. On franchit un seuil et l'on passe de l'autre côté du monde. On trouve une cour traversée d'ombres, que des braseros affinent et allongent immensément sur l'écran lézardé des murs, et un grand foyer qui distribue ses flammes à la nuit et où l'on prépare le thé. On grimpe au premier étage par un escalier raide et l'on sent déjà les vibrations de la musique.
Chaque jeudi soir, sans interruption depuis cent quatre-vingt-deux ans et depuis soixante-quatre ans dans ces mêmes lieux, la confrérie de la Chechtiyya se réunit pour dîner frugalement et jouer de la musique, du crépuscule à la prière de l'aube. Même au plus fort des bombardements de la guerre entre factions islamistes qui, de 1992 à 1996, détruisirent les deux tiers de Kaboul, elle a continué ses célébrations. Les talibans non plus ne sont pas parvenus à les en empêcher. Cependant, ils avaient banni l'emploi des instruments. Ne pouvant plus jouer, les chechtis avaient con tinué de chanter. Indispensables mais interdite