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Libération
Critique

Le monde du silence

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La surdité profonde est vécue comme une appartenance culturelle et non comme une infirmité. Entretien avec Yves Delaporte sur ce paradoxe.
publié le 25 avril 2002 à 23h10

Est-ilÊpossible qu'existe en France une minorité linguistique et culturelle qui n'ait jamaisÊfaitÊl'objetÊd'une recherche ethnologique ? Apparemment, oui. La culture sourde existe depuis au moins deux siècles, mais Yves Delaporte est le premier Français à s'y être intéressé. Après avoir travaillé vingt-cinq ans sur les Lapons, cet ethnologue du CNRS vient de passer dix ans chez les sourds français, une communauté de 80 000 personnes qui vit dans les interstices de la société entendante, invisible et virtuellement ignorée.

La communauté dont parle Delaporte est celle des sourds profonds de naissance, des gens dont la langue naturelle ne peut être qu'une langue des signes (LDS), en l'occurrence la LDS française. Dans Les sourds, c'est comme ça et Moi, Armand, né sourd et muet, écrit avec Armand Pelletier, l'ethnologue montre comment, à partir d'un grave déficit sensoriel, s'est constitué un groupe culturel qui a des valeurs et des pratiques sociales spécifiques.

En découvrant cette culture sourde, on éprouve la stupéfaction de Christophe Colomb rencontrant ses premiers Indiens. Une stupéfaction qui n'a d'égal que l'ébahissement des sourds découvrant leurs premiers entendants. Lorsqu'Armand Pelletier explique à ses quatre enfants sourds que les voisins sont des gens qui perçoivent par les oreilles ce qu'ils ne perçoivent que par des vibrations dans le corps, tous les quatre réagissent de la même manière : «Ils voulaient absolument devenir des entendants... ce n'était bien sûr qu'