Lire chacun des trois romans déchaînés de Roberto Bolaño, écrivain chilien de 49 ans doué d'une véritable oreille littéraire interne, c'est d'abord entendre des voix : celles des grands auteurs sud-américains du passé ou du présent, qu'il pastiche avec humour et violence, à l'ombre de Borges, comme si ces spectres devaient entrer, mot à mot, dans cette chose qui s'abattit sur le Chili, avec Pinochet, en 1973, mais dont l'onde de choc demeure écrasante et dont l'origine est bien plus ancienne. C'est entrer dans cette «splendeur faite de nuit et d'impunité» en comprenant que c'est ainsi, avec ça, avec ces gens-là, «qu'on fait de la littérature au Chili» au Chili et ailleurs. Il n'est donc pas nécessaire de connaître tous les auteurs que Bolaño évoque ou parodie pour entrer dans sa musique. Il suffit d'écouter. Et qu'entend-on ? Trois monologues aux longues phrases, aux images puissantes et grotesques. Trois bouts de consciences bavardes accueillant tout ce qui passe en mélangeant passé, présent, futur, dans le labyrinthe de la servitude. Trois danses macabres enfin, où poètes, tortionnaires, égéries mortes, généraux incultes, curés opusdéistes sodomites et juifs communistes entrent comme un bâton pénètre dans l'eau, ou dans la merde, réfractant son image. Dans Amuleto, une amie des poètes revoit et anticipe sa vie, enfermée en 1968 dans les toilettes de l'université de Mexico pendant un assaut de l'armée. Dans Nocturne du Chili, un prêtre et critique littéraire se souvient d
Critique
Chilienne de vie!
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par Philippe Lançon
publié le 23 mai 2002 à 23h34
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