Ali et Nino est un très charmant roman qui raconte une histoire d'amour dans le Caucase, entre une jeune Géorgienne et un prince chiite, à la veille de la Révolution russe. Un monde étonnant où on quitte le harem («Je boirai le thé et ferai la conversation avec quantité de grosses dames») pour voir Eugène Onéguine à l'opéra et où on va prendre l'air à Schuscha dont l'église chrétienne est vieille de 5 000 ans parce qu'«il est possible que chez les autres le christianisme n'ait pas plus de 2000 ans. Mais nous, le peuple du Karabakh, nous avons reçu l'illumination du sauveur trois mille ans plus tôt».
Le plus troublant, peut-être, dans cette histoire qui tient à la fois du conte oriental et du roman d'apprentissage, ce sont les intuitions de l'auteur sur les relations entre Islam et Occident et sur les conflits qui déchirent la région aujourd'hui. Mais, aussi romanesque que soit l'intrigue, elle est encore dépassée par l'extravagante histoire du livre lui-même et par le mystère qui a longtemps entouré son auteur, Kurban Saïd.
Publié pour la première fois à Vienne en 1937 et en allemand, Ali et Nino a été oublié puis republié en anglais au début des années 70, sans qu'on sache qui était Kurban Saïd. Un poète nationaliste mort au goulag, le fils d'un magnat du pétrole, un intellectuel viennois ? Aujourd'hui, on connaît son identité, en grande partie grâce à Tom Reiss, un journaliste du New Yorker. En 1937, le contrat signé par l'éditeur autrichien Tal indique que Kurban Saïd était