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Libération
Critique

Voyage organisé

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Etait-ce Goetz ou Meyer, ou les deux, qui, à Belgrade dans les années 40, asphyxiait les juifs entassés dans le camion d'extermination?
publié le 23 mai 2002 à 23h34

Aucune lecture n'immunise contre la lecture. On aura beau lire, encore et encore, rien ne nous mithridatisera contre le livre des livres, attendu et inespéré, il n'y a pas de vaccin contre l'évidence de la littérature, il suffit d'entretenir sa manie avec des livres de compagnie, manier des textes comme on boit des vins de soif pour apaiser sa quête de millésime, garder le geste de lire intact, l'oeil, le gras du pouce à la tourne des pages. Jouer à malin, malin et demi, avec ces romans de passages. Un jour, un livre vient vous faucher, vous clouer sur place, sans voix, sans les mots pour le dire. Et le devoir pourtant de le dire ici où il faudrait se taire plutôt qu'écorner par des explications ce miracle de livre, les miracles ne s'expliquent pas, ils s'espèrent, ils adviennent.

Voici donc Goetz et Meyer de David Albahari. On fait confiance, Albahari est un des hommes les plus doux, les plus discrets qu'il nous a été donnés de rencontrer, voici trois ans à Calgary, sur les pentes rocheuses de l'Ouest canadien où il vit depuis 1994 (voir Libération du 3 juin 1999), on a lu de lui tout ce qu'on peut en lire dans les langues qu'on sait. Admiré sa manière, son exigence, ses inventions, sa pudeur à laisser croire qu'il parle des autres lorsqu'il se met à nu, sa drôlerie et cette coquetterie naïvement pessimiste de se dire «postmoderne» : «Pour un écrivain postmoderne, le monde est un texte écrit dont il doit relever quelques lambeaux. Tout est question de forme et le lecteur est