Premier conflit «total» des temps modernes, la Grande Guerre ne cessa d'inventer de nouveaux «fronts» intérieurs. La sexualité constitua l'un d'entre eux, longtemps négligé, mais que l'ouvrage de Jean-Yves Le Naour vient aujourd'hui mettre au jour. Analysant l'immense matériau de propagande morale diffusé durant ces quatre années, il montre d'abord combien la guerre suscita un net raidissement normatif. Prolongeant le climat d'alarmisme sensible dès la fin du XIXe siècle, l'entrée en guerre relança en effet la lutte antipornographique, le combat pour la repopulation, la dénonciation de la prostitution ou du péril vénérien que «les grands rassemblements d'hommes» ne pouvaient qu'accentuer. Stigmatisant ce crime patriotique majeur que constituait l'adultère féminin, ou pire encore, les exactions des quelques «femmes à boches», les plus radicaux prônaient la nécessaire abstinence, croyaient à la guerre régénératrice et à «la tranchée hygiénique».
Que pesèrent ces propos hors de la droite catholique ou des entrepreneurs moraux ? Pour Jean-Yves Le Naour, personne ne croit plus, passée l'année 1915, au thème de la guerre moralisatrice. Le conflit suscite à l'inverse une véritable «inflation de l'amour», selon le mot de Dorgelès. Marraines de guerre, infirmières, jeunes veuves ou «petites correspondances», les fantasmes vont bon train, nourris de quelques aventures de cantonnement. «Quel mal y a-t-il à baiser sa femme sur le front ?», est alors une boutade très prisée à l'avant. Tan