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Libération
Reportage

L'angoisse de la page noire

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Avec l'incendie de l'entrepôt des Belles Lettres, une myriade d'éditeurs ont vu disparaître leur fonds. Turbulences dans la circulation du livre.
publié le 13 juin 2002 à 23h56

Gasny (Eure) envoyée spéciale

Au sortir du bourg de Gasny, dans la campagne, tout juste si l'oeil accroche une tache brunâtre dans l'étendue des pousses de maïs, là où le souffle de l'incendie voisin les a desséchées sur pied, le 29 mai au soir. Mais, au bout du chemin latéral, la vision qu'on découvre évoque irrésistiblement un World Trade Center miniature : toit soufflé, charpente fondue, poutrelles tordues et noirâtres dressées sur un amoncellement encore fumant de débris calcinés, dont émergent des ressauts de livres brûlés, des rangées serrées de volumes noircis dans des restes d'étagères effondrées, des reliures pâteuses de suie et d'eau, sur lesquelles on déchiffre des titres salis et des noms d'auteurs classiques (Apulée, Cicéron, Prudence de Pline l'ancien) mêlés à des romans, des essais d'actualité, des recueils de poésie... Boire la mer à Gaza, le Conte de la Belle Vassilissa... Vestiges dérisoires de ce qui était, il y a encore une dizaine de jours, le centre de distribution et de diffusion des Belles Lettres, abritant, sur 3 000 m2, quelque trois millions de livres : un lieu discret mais névralgique, où les volumes arrivaient au sortir des imprimeries pour être stockés et expédiés aux libraires.

Les pompiers n'ont rien pu sauver : «En quatre heures, c'était fini, dit Jean-Yves Fercy, le responsable du Centre, en montrant tristement, dans un petit local épargné, quelques rares exemplaires ramassés dans les décombres et joints à quelques dizaines de livres rangés en