En 1998, lors de son exposition à l'Hôtel de Sully, à Paris, dans le cadre du Patrimoine photographique, Dorothea Lange (1895-1965) avait attiré près de 28 000 visiteurs. Paraît aujourd'hui un gros livre, hommage d'une réunion d'hommes (Pierre Borhan, A.D. Coleman, Ralph Gibson, Sam Stourdzé) à cette femme vaillante, qui aurait pu être une héroïne de la romancière Willa Cather, tant elle prit soin de contrarier un destin tout tracé. Malgré une couverture ratée, qui met en lumière un cliché tristement gris alors que son oeuvre regorge d'une puissance noire, et une évocation qui manque parfois de légèreté, Dorothea Lange, le coeur et les raisons d'une photographe s'essaie à comprendre comment cette autodidacte américaine s'ancra dans la courte histoire de la photographie, en y laissant un souvenir si fort.
Deux naissances... L'une à New York, en 1895 (le père disparaît sans crier gare, elle choisira le nom de sa mère), l'autre à San Francisco, en 1935 quand elle ferme définitivement son commerce, un studio de portraits. Et deux maris. Avec le premier, Maynard Dixon, peintre de l'Ouest et des derniers Indiens, ils auront deux fils qui réconcilieront plus tard «Dorrie» avec l'idée de la famille. En compagnie du deuxième, Paul Schuster Taylor, économiste sérieux, elle s'engage sur une nouvelle voie la rue, les bords de route du sud-ouest des Etats-Unis hantée par ceux qui font peur aux autres : les exclus et devient dès lors, comme inscrit sur sa carte professionnelle, «a phot