Dans les années soixante, Michael Moorcock fut l'une des fines lames de la fiction spéculative anglaise, aux côtés, notamment, de J.G. Ballard, avec lequel il partageait un goût immodéré pour les expériences du nouveau roman ou le cut-up de William Burroughs. Mais cet excentrique absolu, nourri des chefs-d'oeuvre du roman de science-fiction américain tout autant que des sommets du récit d'aventure anglais (Sexton Blake, la baronne Orczy, Darnford Yates) créait avec Elric le Nécromancien et Jerry Cornelius d'incontournables héros. Moorcock n'a pas connu, comme le Ballard d'Empire du soleil, la reconnaissance du monde littéraire, passant d'un genre à un autre, renonçant parfois à un projet de grande ampleur la saga inaugurée par le très brillant Byzance 1917 n'a pas dépassé le premier volume pour en revenir à des préoccupations secrètes incompatibles avec les exigences éditoriales.
En 1988, pourtant, il surprend le monde de la critique et stupéfie une fois de plus ses fans, avec la publication de Mother London, oeuvre inclassable aussitôt considérée comme intraduisible en français. Il aura donc fallu attendre quatorze ans pour découvrir ce livre monumental et très ambitieux. Placé sous l'invocation du trop méconnu Mervyn Peak, auteur de Gormenghast et Titus d'Enfer, ce long et trépidant mouvement romanesque trouve son ancêtre le plus direct en la Virginia Woolf de Mrs Dalloway : le «flux de la conscience» des personnages qui s'y épanouissent de manière subtile et déroutante