Berlin de notre correspondante
Le voici donc, l'infâme. Le livre «antisémite», adjectif le plus grave qui soit en Allemagne : le dernier roman de Martin Walser, Tod eines Kritikers (Mort d'un critique). Le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung l'a jugé tellement odieux qu'il annonçait le 29 mai qu'il n'en publierait pas les bonnes feuilles comme prévu. Marcel Reich-Ranicki, le plus célèbre critique du pays, directement visé par le livre, a même appelé la grande maison Suhrkamp, son éditeur, qui est aussi celui de Walser, à ne pas le publier. «L'éditeur de Benjamin, Adorno, Bloch, Celan... ne peut éditer un livre antisémite», plaidait Reich-Ranicki. Après hésitation, et gommage de quelques passages particulièrement douteux, Suhrkamp a pourtant choisi de le sortir. Depuis le 26 juin, l'infâme, recouvert d'une jaquette blanche, s'empile dans toutes les librairies du pays, comme s'il y avait là promesse d'un best-seller.
Antisémite alors, ce Walser ? A la lecture, surtout dans sa version nettoyée, ce n'est pas forcément ce qui saute aux yeux en premier. Tod eines Kritikers est surtout une charge haineuse contre un tout-puissant critique qui règne sur la littérature allemande. Martin Walser l'a appelé André Ehrl-König, nom emprunté à une ballade de Goethe, mais il avoue qu'il vise Marcel Reich-Ranicki, qui animait jusqu'à ces derniers mois encore, la plus importante émission littéraire de la télévision allemande. Avec son accent étranger, imité à plaisir par Martin Walser (Reich