Autour des années 1880, des tas de gens ont un jour ou l'autre croisé Albert Dadas dans une gare, un hôtel miteux ou un consulat quelque part en Europe. Albert n'était pas un de ces voyageurs aisés qui découvraient les tout nouveaux plaisirs du tourisme. Ce n'était pas non plus un soldat, un diplomate, ni un représentant de commerce. Juste un petit employé de la compagnie du gaz de Bordeaux qui, périodiquement et soudainement, prenait la route et se retrouvait quelques semaines plus tard, sérieusement déphasé, à Berlin, Prague, Moscou ou Alger.
«Tout débute un matin du mois de juillet de l'année dernière, quand (...) nous aperçûmes un jeune homme de 26 ans environ, pleurant et se désolant sur son lit d'hôpital. Il arrivait d'un long voyage fait à pied, mais la fatigue n'était pas la cause de ses larmes. Il ne pouvait s'empêcher de partir quand le besoin l'en prenait ; alors saisi, captivé par un désir impérieux, il quittait famille, travail, habitudes et allait tout à coup devant lui, faisant 70 km à pied dans la journée, jusqu'à ce qu'enfin il fût arrêté comme vagabond et mis en prison.»
A partir de 1886, l'histoire d'Albert est recueillie par le docteur Tissié, un jeune psychiatre de l'hôpital Saint-André de Bordeaux, qui se prend de passion pour son cas et le suivra jusqu'à sa mort en 1907. Tissié note tout, avec minutie et empathie. Comment Albert, habituellement chaste et bon travailleur, est pris de crises d'anxiété, de migraines et de masturbation «cinq fois la nuit», à