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Libération
Critique

Juges très occupés

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Culture de l'ordre, haine de la subversion : une étude sur la magistrature française, pendant et autour de la Seconde Guerre mondiale.
publié le 11 juillet 2002 à 0h22

Soucieux de rompre avec les interprétations d'ordre moral ou idéologique, qui ne laissent le choix qu'entre l'héroïsme dissident et la complicité coupable, les historiens de Vichy ont choisi depuis plusieurs années d'inscrire l'événement dans la moyenne durée et de privilégier les questionnements plutôt sociologiques ou culturels. Une telle démarche anime l'ouvrage qu'Alain Bancaud, historien de la justice, vient de consacrer aux magistrats des années noires. Plaidant l'autonomie du professionnel à l'égard du politique, il a ainsi cherché à saisir le juge «dans l'exercice de sa fonction particulière» pour évaluer «les effets complexes, contradictoires, de l'habitus» pesant sur la magistrature française des années 1930 à l'immédiat après-guerre.

Davantage qu'à quelques actes spectaculaires ou symboliques (le serment à Pétain, les exécutions prononcées par les sections spéciales ou les procès de l'Epuration), l'auteur a donc porté l'éclairage sur les traditions et les usages d'un «corps» de fonctionnaires. Ainsi met-il en scène une magistrature composée de petits notables provinciaux, animés d'une profonde culture de l'ordre (foi en l'exemplarité de la répression, horreur de la subversion ou du communisme) qui les fait naturellement pencher vers un pouvoir autoritaire. S'y ajoute un idéal de légalisme et de respect des hiérarchies : s'effaçant devant la figure immatérielle du législateur, le magistrat n'a pas à juger la loi, mais à l'appliquer sans état d'âme. Un tel état d'esp