Entrez sans crainte dans la Maison des feuilles. La visite sera longue, mais elle en vaut la peine, ne serait-ce que pour apprécier, de page en page, l’exploit typographique et éditorial. L’exploit est d’abord du côté de l’auteur, un Américain imaginatif né en 1966. Il a mis douze ans à venir à bout du monstre, ce premier roman qui a plu à Bret Easton Ellis, et ici-même à Christian Lehmann, qui en parlait dans Libération dès le 29 juillet 2000, dans son «Journal de la semaine». L’exploit est aussi celui du traducteur, dont on sent qu’il est entré corps et âme dans le jeu de Mark Z. Danielewski.
Le jeu consiste à exiger de l’objet qu’il ressemble à ce qu’il raconte, à savoir une exploration abyssale à plusieurs entrées. Un jeune junky, Johnny Errand, prend possession d’un fatras de feuilles rédigées par un vieil homme qui vient de mourir, Zampano (Anthony Quinn dans la Strada), c’est-à-dire qu’il se laisse posséder. Il se met en tête de «réenterrer cette chose dans une tombe reliée». Zampano était aveugle. Son texte est la description minutieuse d’un documentaire censément mythique, le Navidson Record, dont il est cependant posé d’emblée qu’il n’existe pas. La réalité, pour Johnny, est ailleurs : dans l’horreur dégagée par le récit de Zampano, dans la bête immonde affrontée par la famille Navidson, et qui cousine avec celle qui gronde dans ses tréfonds à lui, Johnny, surgit dans sa nuque et le fait vomir.
En premier lieu, donc, le travail de Zampano sur la somme