Suzhou, envoyé spécial
La femme de Lu Wenfu ne décolère pas depuis qu'elle a découvert Mao sur la couverture de la traduction française de Nid d'hommes. «Ça n'a rien à voir avec le livre», s'emporte ce petit bout de femme qui, alors que son mari est souffrant, a de l'énergie pour deux. Le choix marketing de l'éditeur parisien passe mal à Suzhou, la ville de prédilection du couple. De fait, le Grand Timonier n'apparaît quasiment pas dans les 535 pages du roman de Lu Wenfu, sinon en toile de fond, ou dans les sarcasmes de ses personnages. L'un d'eux baffre aux frais du président Mao : «C'est à cause de lui que j'en bave, alors je mange à ses crochets, non seulement ma pitance quotidienne, mais aussi du vin, de la viande et des cigarettes.» Les héros de cette saga sont très éloignés du coeur du pouvoir de l'empire rouge : ce sont les gens d'en bas, les habitants du Jardin de la famille Xu, une grande demeure de Suzhou, la ville aux innombrables jardins située dans l'arrière-pays de Shanghai.
Il y a la Grosse Belle-Soeur, la Mère Hu, le Troisième Oncle, le Petit Teigneux, Grande-Cui et Petite-Cui, Grand-Frère et Petite-Soeur, toute une galerie de personnages attachants ou repoussants qui traversent les soubresauts de l'histoire récente de la Chine. Il y a surtout Xu Dawei, le fils aîné de la famille Xu, un jeune idéaliste dans les années 40, à la veille de la victoire communiste de 1949, qui rêve d'égalité et de justice sociale, et réunit autour de lui des étudiants qui partagent