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Libération
Critique

Les Pensées de Pascal Quignard

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Aphorismes et textes brefs dans la lignée des «Petits traités», par celui qui ne cesse de relire ses classiques.
publié le 26 septembre 2002 à 1h08

Le 31 mars 1649, René Descartes écrit deux lettres à Hector-Pierre Chanut, ambassadeur de France à Stockholm et son ami. La reine Christine de Suède demande au philosophe de la rejoindre. Il a retrouvé sa maison de Hollande quelques mois plus tôt, fuyant la France de la Fronde. Il est tranquille ; il aimerait refuser. Dans la première lettre, destinée à être lue par la reine, il fait des politesses et tergiverse. Ce qu'il pense est dans la seconde : les grands, il en a soupé. Lors de son dernier voyage à Paris, il fut considéré comme ce qu'on appellerait aujourd'hui à la télé une star. Il n'a pas aimé ça. A la cour, «ce qui m'a le plus dégoûté, c'est qu'aucun d'eux n'a témoigné vouloir connaître autre chose de moi que mon visage ; en sorte que j'ai sujet de croire, qu'ils me voulaient seulement avoir en France comme un éléphant ou une panthère, à cause de la rareté, et non point pour y être utile à quelque chose.»

Dans les Ombres errantes, premier des trois recueils aujourd'hui publiés, Pascal Quignard conte cette vieille histoire parmi cent autres ; mais il ne la conte pas comme ça. Il appelle René Descartes le chevalier Des Cartes, comme pour insister sur le fait qu'il fut soldat, bon escrimeur, pour aiguiser l'aventure. Des Cartes devient presque le chevalier Des Touches, héros de Barbey d'Aurevilly. L'écrivain insiste aussi sur les amis du chevalier philosophe : il célèbre ainsi l'amitié, valeur qu'il place haut. Il ne précise pas qui est Chanut, lequel devient un simple